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17 mai 2015

L'inconnu de Dieppe

Une fois n’est pas coutume, j’ai fait la découverte étonnante d’un PAUSAT ayant vécu au cours de la seconde moitié du 17e siècle à Dieppe, en haute Normandie. 
Qui est-il et qu’est-il allé faire si loin de ses racines occitanes ?

Même si nos ancêtres se déplaçaient plus souvent que nous avons tendance à l’imaginer, ce fait est assez rare, et le manque d’information le concernant rend difficile la compréhension de son éloignement.
Pour le moment, dans l’attente incertaine d’avoir plus tard quelques indices supplémentaires, nous allons tenter d’explorer les raisons probables qui pourraient expliquer cette immigration.

Le point de départ de cette histoire est un acte de baptême du 22 août 1689 rédigé à la paroisse Saint Rémy de Dieppe où notre inconnu est le parrain d’un dénommé Simon FLEURY[1], fils de Nicolas (1664-1727 &1684) et de Catherine MARE (ca 1660-/1697). La marraine s’appelle Marie Anne BOULE.
Acte de baptême citant Simon PAUSAT
Avant d’essayer de comprendre ses motivations, rappelons le contexte historique de l’époque.


Contexte historique

1- Dans le royaume de France, le 17e siècle est marqué par des famines à répétition alors que la peste y est installée à l’état endémique, accompagnée d’épidémies de choléra, de variole et de typhus[2]. De nombreux paysans vendent leurs terres à très bas prix pour survivre et des troubles importants agitent les campagnes et les villes.

2- En 1689, Dieppe situé au nord de la côte normande, face à l’Angleterre est l’un des ports les plus importants du royaume de France, citons :
« À partir du règne de Louis XI et pendant plus d'un siècle, la prospérité de Dieppe ne cessa de se développer; la ville et le port s'agrandirent; de nombreux vaisseaux furent armés dont les expéditions, et les découvertes accrurent le commerce et l'industrie de la ville. Le protestantisme y fit depuis le milieu du XVIe siècle des progrès rapides; les luttes et les persécutions religieuses la désolèrent bientôt et en 1685, la révocation de l'édit de Nantes provoqua l'émigration d'un grand nombre de ses habitants déjà décimés par les épidémies de peste de 1668 et de 1670. Une attaque de la flotte anglo-hollandaise acheva la ruine de la malheureuse cité. En juillet 1694, l'amiral anglais Barklay la bombarda à l'improviste et la détruisit de fond en comble[3] ».
Gravure du bombardement de Dieppe en 1694 et carte de la France protestante lors de l’édit de Nantes
Étudions maintenant les raisons possibles de sa présence à Dieppe

Pourquoi Simon PAUSAT réside-t-il à Dieppe ?

À la lecture de ce bref rappel historique, on comprend que Simon PAUSAT n’est pas venu à Dieppe pour le plaisir d’y bénéficier de son climat marin, mais sans doute pour d’autres raisons plus sérieuses comme fuir sa région d’origine devenue inhospitalière et/ou pour y trouver un travail.

1- Hypothèse religieuse

Quoiqu’il faut rester très prudent sur cette hypothèse, notons que l’origine hébraïque du prénom Simon[4] pourrait laisser entendre que notre Simon PAUSAT aurait été de religion protestante[5] et que donc, son parcours vers le nord aurait eu pour motivation de fuir les persécutions contre les protestants.
Rappelons que les conséquences de la révocation de l’Édit de Nantes ont chassé du territoire français des centaines de milliers d’individus : « 200.000 quittèrent clandestinement le pays ou en firent déplacer aussi un grand nombre fuyant les persécutions et les dragonnades qui commencèrent dès 1680 en Poitou, en Béarn et en Languedoc[6] ».
Cette première hypothèse, a priori sérieuse, est donc de considérer que lui ou sa famille fuirent ces persécutions pour se réfugier vers un autre pays plus accueillant comme l’Angleterre ou la Hollande. Dans ce cas, l’arrêt de cette tentative à Dieppe peut s’expliquer par le conflit qui oppose le royaume de France avec ces pays et qui le bloque au nord de la France. Rappelons que Dieppe est l’une des plus importantes des 43 Églises réformées de Normandie.

2- Hypothèse de la recherche d’un travail

Contrairement à l’hypothèse précédente, on peut envisager qu’il soit remonté dans le nord de la France pour se substituer aux protestants qui avaient fui « les persécutions consécutives à la révocation ou annulation de l’Édit de Nantes (Édit de Fontainebleau de 1685) « qui prévoit que les pasteurs doivent se convertir ou quitter le royaume sous 15 jours. Les fidèles, tolérés en principe, seront le plus souvent persécutés jusqu’à leur abjuration. La Révocation suscite un vaste mouvement d’émigration ».

   a. Construction navale : C’est le cas où lui ou sa famille allèrent rejoindre Dieppe à une époque où ce port avait besoin d’un nombre important de mains d’œuvre, en particulier dans la construction navale, car Colbert faisait alors construire une grande marine de guerre.

   b. Commerce par voie maritime : le négoce par voie maritime, relations maritimes et commerciales entre Dieppe et les ports de la mer Baltique (en concurrence avec les Anglais et les Hollandais) permettait d’exporter les sels (usage du poisson salé) et les vins français, puis en retour de ramener des céréales, principalement le blé quand il en manquait en France, bois, chanvre pour les cordages, lin pour confectionner les voiles, goudron … produits employés pour la construction des navires autant commerciaux que militaires. Pendant de nombreuses années Dieppe est le port normand le plus actif dans ce commerce et a donc un besoin important en gens de la mer.

3- Hypothèse intégrant les deux précédentes
On peut aussi envisager que Simon PAUSAT et sa famille exerçant le métier de batelier ou de construction de charpente de bateau, pour les mêmes raisons que dans la première hypothèse, fuirent les persécutions en se dirigeant vers le nord de la France :

   a. par exemple à partir du Loiret
Nous savons qu’à partir de l’Auvergne et du Limousin, nous avons eu quelques PAUSAT qui émigrèrent au nord vers l’Yonne[7] et ensuite un peu plus à l’ouest dans le Loiret. Pour ces derniers, nous ignorons si le métier d’origine est le même que celui de leurs voisins de l’Yonne, mais on peut envisager qu’une partie de ceux-ci participèrent à l’approvisionnement de la ville d’Orléans, en pratiquant le même métier via la Loire.

   b. Par exemple à partir de Bordeaux
Pour les mêmes raisons, certains PAUSAT exerçant leur métier de matelot ou de charpentier de navires et résidant à Vayres ou Arvayres[8] ont pu saisir l’occasion de s’expatrier vers Dieppe pour bénéficier de salaires plus rémunérateurs.

Étudions maintenant d’où venait-il :

Région d’origine de Simon PAUSAT

Rappelons qu’il est entendu que notre patronyme est incontestablement d’origine occitane et donc que les PAUSAT résident initialement dans la moitié sud de la France.

Quant aux prénoms, ceux usités au sein d’une même famille étant souvent reconduits de génération en génération, on donne à l’enfant le même prénom que le parent du même sexe ou celui d’un proche qui est choisi pour être le parrain. Il existe donc pour chaque famille une continuité dans le temps des prénoms qui perdura jusqu’à la fin de l’Ancien régime et même encore quelquefois jusqu’à nos jours.

Le cas du prénom Simon est intéressant, car sa rareté chez les individus recensés dans la base des PAUSAT devient un avantage pour trouver sa région d’origine, quand, comme c’est le cas, sa localisation est circonscrite à une zone unique du territoire.



Parmi les PAUSAT ayant vécu avant la fin du 17e siècle et portant le prénom Simon, nous trouvons en effet :
- Simon PAUSAT (n°1589) né en 1589 à Pannes dans le Loiret
- Simon POUZAT (n°1987) marié en 1677 à Lyon avec Isabeau MAISTRE
- Simon PAUSAT (n°1170) marié en 1679 à Montel-de-Gelat (Auvergne) avec Marguerite DESPATIN
- Simon PAUSAT (n°2119) marié en 1679 à Dontreix (Limousin) avec « inconnue »
Nous pouvons donc imaginer qu’il est probable que le Simon qui nous intéresse soit issu probablement de l’une de ces familles, toutes plus ou moins situées au centre de la France.

En conclusion, espérons que l’examen des archives de Dieppe ou tout autre document fortuit livreront une partie des informations qui nous manquent pour connaître la vérité sur cet individu, émigré isolé, ayant quitté sa région natale et ses racines occitanes. Dans le cas contraire, sa brève histoire nous aura permis de connaître un peu mieux le contexte de son époque située au cœur du règne de Louis XIV.

[1] Ce patronyme étant répandu à cette époque qu’au nord-est de la France, on peut considérer que cette famille est originaire de cette région.
[2] On compte 1 million de morts entre 1651 et 1663, avec un taux record de mortalité dans la région parisienne et en Bourgogne.
[3] L’Angleterre était en guerre depuis 1688 avec la France (guerre de la ligue d’Augsbourg).
[4] On trouve deux étymologies au nom Simon : le nom grec Simôn, nom ancien dérivé du terme grec simos, signifiant « qui a le nez camus » et un nom masculin provenant de l'hébreu shimeone ou Sim’ôn et qui signifie littéralement « Dieu a entendu ma souffrance » ou « Yahvé a entendu » selon Genèse 29,33.
[5] Quoique les prénoms bibliques ne soient pas majoritaires chez les protestants (cf. « les prénoms des protestants au XVIIe siècle » de Jacques Houdaille
[6] En 1685, à la révocation de l'édit de Nantes par le roi Louis XIV, Dieppe perd plus de 3 000 de ses habitants qui émigrent à l'étranger.
[7] Voir l’article de ce blog du 02/05/2013
[8] Voir les articles de ce blog du 18/10/2010 et 15/10/2012 à 21/12/2012