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10 mars 2015

Nos ancêtres émigrèrent-ils en Catalogne?

Les mouvements de population durant le Moyen-âge font l’objet de recherches qui nous permettent aujourd’hui de lever le voile sur le fait, a priori sous-estimé, que nos ancêtres se déplaçaient fréquemment et parfois fort loin.
Ceci peut sembler surprenant si l’on compare leur peu de moyens de locomotion par rapport aux nôtres, mais pour eux marcher n’était pas une recommandation de leur médecin pour éviter de prendre du poids et rester en forme physique, mais était simplement leur mode de vie.
Ainsi, la lieue terrestre était l’unité de longueur correspondant à la distance parcourue par une personne pendant une heure. Selon les régions, celle-ci était de l’ordre de 3 à 4 km… et s’ils n’avaient pas de bottes de sept lieues, il était normal qu’ils fassent des trajets de 30 à 40 km par jour, les plus riches faisant porter leurs bagages sur un âne ou un mulet, ou encore se déplaçant à cheval.

Donc, les distances n’étant pas un obstacle rédhibitoire, les mouvements de population obéissent seulement à des considérations économiques, tels que la marchandisation de certains produits (tissus, épices, etc.), à la recherche d’un travail (forestier, pasteur, etc.) ou à un besoin sécuritaire, pour se soustraire à la famine, la guerre ou aux persécutions.
La période de l’Ancien régime réunissant, au cours de son histoire, l’ensemble de ces facteurs, il n’est donc pas étonnant d’y trouver les causes de nombreuses émigrations. Parmi celles-ci, certaines se firent vers le sud, en particulier vers l’Espagne.

Nous avons déjà évoqué dans ce blog, des PAUSAT allant à Cadix pour y exercer le métier de courtier et de négociant, dont le béarnais Jean-Baptiste PAUSAT et son oncle Bernard. Mais, tous ne s’illustrèrent pas avec autant de succès, certains restèrent anonymes et la seule empreinte qu’ils auraient pu laisser dans l’histoire est celle de leur patronyme transmis à leurs descendants.

Serait-ce le cas des PAUSA vivant en Catalogne, au sud de la Cerdagne ?

L’émigration française en Espagne durant l’Ancien régime : quelques repères

1- Le travail universitaire d’un étudiant de Valence sur l’émigration gasconne nous indique que : « dans un document de 1617, écrit par un voyageur français, il est dit que plus de 15.000 Français vivent dans la ville de Valence. Étant donné que la population de la ville et de ses alentours était de 56.000 habitants; les "Français" composaient, plus de 25% de la population totale ».

2- En consultant un ouvrage récent d’un universitaire catalan[1], nous apprenons (à partir des contrats de mariage des archives notariales) qu’à Castelló d’Empuries (situé à 50 km au sud de Perpignan, anciennement le fief du comté du même nom), entre :
- 1555 et 1558, il y avait 102 Français (10,8 % de la population),
- 1585-1588, ce chiffre descend à 22 (3,5% de la population), sans doute, suite aux « représailles générales contre les Français », ces derniers étant accusés souvent à tort des méfaits commis dans la région, c’étaient les boucs émissaires de l’époque.

Il faut noter que la majorité étant protestante, ils avaient fui la France pour se soustraire aux dictats qui leur imposaient d’abjurer leur foi, mais se retrouvaient dans un pays sous la domination absolue de l’Église catholique. Ainsi, ils furent de nouveau pourchassés, cette fois-ci par la Sainte Inquisition.

Pour la Catalogne, entre 1560 et 1700, le Tribunal de Barcelone va arrêter 3.047 personnes, dont la moitié fut accusée de pratiques hérétiques, surtout de luthéranisme et de calvinisme.
Ces Français venant de la moitié sud de la France, donc de l’Occitanie étaient originaires :
- 21,2 % des Pyrénées et pré-Pyrénées (Pamiers, Tarbes, …)
- 32,9 % du Languedoc et de la vallée de la Garonne (Agen, Albi, Montauban, Toulouse, ..)
- 43,5 % des « Terres hautes » et des « Massifs » (Rodez, Saint-Flour, ..)
- 2,3 % de Bourgogne
Leurs métiers étaient très divers : chapelier, bourrelier, chirurgien, maréchal-ferrant, menuisier, paysan, berger, muletier, maraîcher, tailleur, valet de juments, tisserand, potier, journalier, sabotier, chaudronnier, etc.

Ces émigrants français étaient appelés GAVATX, ce mot apparait la première fois en 1603, date qui coïncide avec le pic de l’émigration. Dans la Principauté de Catalogne, ce mot désignait les personnes venues de la France Occitane.

3- Une autre étude[2] consacrée au Baix Llobregat[3] donne des chiffres voisins pour la période 1565-1699 :
Pour 6253 mariages, 725 l’étaient avec un conjoint français, soit une moyenne de 10,7% (avec un pic entre 1564 et 1569 : 23,1%, 25% à Barcelone).

L’émigration des PAUSAT en Catalogne : a-t-elle existé ?
Dans l’arrière-pays de la Costa Brava, ignoré des touristes, se situe entre la mer et les contreforts des Pyrénées un sommet nommé Mare de Deu del Mont culminant à plus de 1123 m et qui domine toute la plaine s’étendant jusqu’à la mer.
À ses pieds, quelques villages, hors du temps, se répartissent ce territoire et parmi eux, Llers, Banyoles et Sant Martí de Sesserres.

Pour les deux premiers villages, une recherche sur le site des mormons donne, depuis l’an 1600 à nos jours, le chiffre de 1882 résultats pour le nom PAUSA.

acte de mariage de Marianna Pausa à Banyoles en 1696

Pour le dernier, celui de Sant Martí de Sesserres, c’est le mariage d’un catalan ayant émigré en France en Cerdagne qui nous apprend qu’il est né dans ce village en 1850 et que sa mère s’appelle PAUSA.
Les recherches à la mairie de la commune dont ce village dépend et aux archives ecclésiastiques de Girona n’ont malheureusement rien donné, la majorité des documents de Sant Martí de Sesserres ayant été détruits durant la guerre civile.


Pour quelle raison ce dernier ayant quitté le mas de ses parents, chercha du travail en Catalogne nord à Prats de Mollo, en Roussillon[4] ? Pour le moment je l’ignore, mais son acte de mariage du 26 janvier 1875 nous indique qu’il a 25 ans, qu’il est domestique et qu’il se marie à une Française nommée Marie Anne Thérèse NOU, journalière, âgée de 39 ans et née dans cette commune.

Acte de mariage du fils de Marie PAUZA

On peut cependant se demander si, à l’origine, celui-ci n’est pas originaire d’un berceau situé en Occitanie, suite à la migration d’un français surnommé PAUSAT, cherchant en Catalogne des cieux plus propices..

A contrario, on peut aussi envisager qu’il s’agit d’un berceau sans lien avec les autres, car si la Catalogne n’a jamais fait partie de l’Occitanie, elle partage avec elle la même langue ou presque[5], puisque le catalan est dérivé de l’occitan provençal (exemple : le mot mas signifiant une ferme isolée en Provence a le même sens en Catalogne).
De ce fait, en reprenant les mêmes hypothèses développées dans ce blog pour les PAUSAT d’Occitanie, on peut supposer que certains Catalans se virent affublés de ce surnom. Il y aurait donc dans cette partie du nord-est de la péninsule ibérique un autre berceau PAUSAT « cousin » de ceux situés en Occitanie.


Remarque : Notons, cependant, une particularité qui le différencie des surnoms occitans, c’est que celui-ci n’est pas au participe passé, c’est-à-dire se terminant par le suffixe AT, mais comme un nom commun s’écrivant PAUSA (plus tard, PAUZA).
En dehors du fait qu’il peut s’agir d’une erreur d’écriture lors de la rédaction des actes, cette particularité poserait la question du sens exact que l’on a bien voulu donner à ce surnom et si celui-ci a une origine qui diffère de celui qui a prévalu en Occitanie. Notons aussi que le mot PAUSA (d’origine latine) existe aussi en castillan, mais qu’à ce jour il n’a généré aucun surnom dans ce qui fut autrefois la Castille.

[1] réf. : immigració francesa i repressió a la catalunya del segle xvi: alguns exemples del comtat d’Empúries de Josep Colls i Comas
[2] la immigració occitana a catalunya: el cas del baix llobregat (segles xvi i xvii) de f. Xabier Gual i Remírez, Valentí Gual i Vilà, Carles Millàs i Castellví
[3] région englobant Barcelone
[4] Avant que la Catalogne perde son indépendance, il y a 300 ans, lors de la guerre de la succession des Bourbons, celle-ci s’étendait jusqu’au nord de la Cerdagne. Mais au 19ème siècle, la langue catalane est le lien de communication naturel entre cette partie de la France et son territoire d’origine.
[5] Jusqu'au Moyen Âge, le catalan et l'occitan (en France) ne faisaient qu'une seule et même langue: ce sont des destins politiques différents et deux rattachement à des blocs dominants opposés qui les ont fait évoluer chacun de leur côté. Après de longs débats, les intellectuels catalans ont fini par proclamer solennellement en 1934 que le catalan était distinct de l'occitan, le premier faisant partie du groupe ibéro-roman; le second, du groupe gallo-roman.