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24 août 2021

Vie « ordinaire » d’un Pauzat en Limousin, au début du 19e siècle

(suite et fin de l’article diffusé le 15/07/2021)

Poursuivons l’histoire de Jean PAUZAT dont nous avions commencé le récit dans l’article précédent.
Nous sommes en 1829, Jean PAUZAT né au début du 19e siècle au sud de Limoges a maintenant 21 ans. Rappelons qu’il est né du second mariage de son père qui a déjà eu trois fils, Jean est donc le cadet de cette fratrie recomposée.
En mars de cette année, ses parents étant déjà tous deux décédés, il se marie avec Marguerite MARSAUD après, comme c’est l’usage, s’être engagé auparavant par une promesse de mariage qui a été affichée par deux fois à la porte de la mairie.
Souvenons-nous que pour se faire, il s’était engagé quelques jours auparavant par une promesse semblable avec une autre jeune femme dénommée Jeanne DESCHAMPS, à laquelle il n’a pas donné suite, ceci sans que l’on en sache la raison.




Poursuivons maintenant le récit de sa vie dont la part qui nous est désormais accessible relate celle d’une suite de deuils qui frappèrent successivement ses épouses et certains de ses enfants.

Premier mariage :

Son épouse Marguerite MARSAUD est la fille d’un marchand dénommé Léonard MARSAUD et de Péronne BONTEMPS. Elle est née à Ladignac en l’an 13 de la Révolution, soit en 1804 et a donc 25 ans.
Ils vivront au village de Gorsas proche de cette commune et de leur union naîtra quatre ans plus tard un garçon qu’ils nommeront Jean. Ce dernier naît en 1833, mais décède[1] prématurément à l’âge de 3 mois. Sur l’acte de décès, il est indiqué que son père est laboureur.
Il faudra attendre 5 ans pour que naisse en 1838 un autre garçon dénommé Laurent[2]. Ce dernier vivra assez longtemps pour se marier en 1860 avec Catherine DEPENNE et dont la descendance se transmettra jusqu’à nous, citons Marion, Camille, Marie et Lauriane par exemple.
Deux ans plus tard, en 1840 après 11 ans de mariage, Marguerite MARSAUD décède[3] à l’âge de 36 ans. Jean PAUZAT est alors cultivateur au bourg du Châlard et se retrouve veuf avec un jeune enfant à charge.

Deuxième mariage :

Il attendra deux ans pour se remarier. Il aura entre-temps changé de métier pour devenir charpentier et en mars 1842, il signe pour cela une promesse de mariage[4] avec une jeune femme dénommée Anne DEGORCAS, vivant avec ses parents au bourg de la même commune.
Que se passe-t-il alors ?
En avril, quelques jours plus tard, il signe une seconde promesse de mariage avec Jeanne JARRIT âgée de 25 ans qui est cultivatrice et demeure au village de L'Augère à proximité de Ladignac. Et comme lors de son premier mariage, il se marie[5] avec cette seconde prétendante, reniant ainsi sa promesse comme il l’avait fait lors de son premier mariage.
Mais, il n’aura pas le temps de jouir de cette nouvelle vie de couple, car Jeanne JARRIT décède[6] au bout de seulement 7 mois, à l’âge de 26 ans. Jean PAUZAT se retrouve donc de nouveau veuf avec son fils âgé d’un peu plus de 4 ans.

Troisième mariage :

Il attendra 3 ans pour se remarier. Il a 37 ans et épouse[7] en 1846 à Jumilhac-le-Grand, Marie MAURY âgée de 26 ans. Il est alors identifié en tant que veuf de Jeanne JARRIT, cultivateur résidant dans la commune précitée.
Notons que parmi les témoins, se trouve Martial PAUZAT, âgé de 30 ans, perruquier à Jumilhac-le-Grand dont le lien de parenté avec Jean PAUZAT n’est pas encore établi.
En 1847 naît un fils qu’il appellera Antoine[8]. Sur l’acte de naissance de ce dernier, on apprend que son père demeure au village de Laforces proche de Jumilhac-le-Grand et qu’il est voiturier.
En 1851 naît une fille Marie qui ne vivra que 3 ans. Sur l’acte de décès[9], ses parents sont déclarés journaliers[10], vivant au village de Faye-de-Port, à proximité de Jumilhac-le-Grand.
Malheureusement, sa femme décède[11] à son tour, 4 jours après celle-ci. Elle n’a que 36 ans. Jean reste seul avec ses deux fils, Laurent qui a maintenant 16 ans et Antoine 7 ans.

Quatrième mariage :

Moins d’un an plus tard, après avoir procédé par deux fois aux publications[12] dans les communes de St-Yrieix et de Jumilhac, il se remarie[13] à Saint-Yrieix-la-Perche avec Françoise BUISSON. Celle-ci, née en 1812 dans cette commune, a 42 ans. Elle est cultivatrice et veuve de Louis REMY. Jean a maintenant 47 ans, il est cultivateur. Ce sera son quatrième et dernier mariage.

Cette fois-ci, sa femme lui survivra, car 7 ans plus tard, il décédera[14] à l’hospice de Saint-Yrieix à l’âge de 54 ans. Sur l’acte de décès, il est cité comme demeurant au village de Quinsac[15] et tonnelier de métier.

Commentaires :

L’histoire de la vie de Jean PAUZAT, aussi singulière qu’elle puisse paraître aujourd’hui, est-elle si atypique pour son époque ?
Replaçons-nous dans le contexte de celle-ci et examinons quelques-unes de ses singularités.

Le facteur sociologique :

Tout d’abord, rappelons que l’école n’était pas encore obligatoire et que son rôle d’ascenseur social n’existait pas et que celui qui naissait paysan le restait toute sa vie et s’il n’héritait pas du patrimoine de ses parents, il devait quitter la ferme familiale et chercher ailleurs un travail pour survivre.
Dès sa naissance, le statut de Jean PAUZAT est celui du cadet, ceci signifie que l’héritage de ses parents ira à l’aîné de la fratrie Jean PAUZAT, son homonyme né en 1794 du premier mariage de son père, et qui deviendra donc propriétaire.
Remarque : notons que dans les campagnes traditionnelles, cette règle avait pour objectif de garantir dans le temps l’intégrité du patrimoine et pour se faire la transmission de ce dernier d’une génération à l’autre par la désignation d’un héritier et l’exclusion des autres contraints au célibat et/ou à la mobilité géographique et/ou professionnelle. C’est pour cette raison que nous avons vu Jean exerçant successivement les métiers ci-dessous, tout en étant sédentaire, c’est-à-dire en restant proche de son village natal :
1825 : domestique à Le Châlard
1829 : laboureur à Ladignac
1833 : laboureur au village de Gorsas (Ladignac)
1838 : cultivateur à Le Châlard
1840 : cultivateur au bourg du Châlard
1842 : charpentier au bourg de Ladignac
1846 : cultivateur au village de Lavacherie (Jumilhac-le-Grand)
1847 : voiturier au village de Laforces (Jumilhac-le-Grand)
1851 : journalier au village de Faye-de-Port (Jumilhac-le-Grand)
1855 : cultivateur à Saint-Yrieix-la-Perche
1862 : tonnelier à Saint-Yrieix-la-Perche

Le facteur sanitaire :

Aujourd’hui, quand l’espérance de vie[16] a presque doublé au cours du 20e siècle, nous ne sommes pas conscients qu’il y a peu de temps, nos ancêtres vivaient bien moins longtemps que nous. Les deuils successifs qui ont marqué la vie de Jean PAUZAT illustrent bien cette réalité. Ainsi, au début de son siècle l’espérance de vie était en moyenne de 40 ans pour les adultes et les chances de survie à la naissance étaient faibles.

Le tableau ci-dessous est explicite à cet égard.

https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/graphiques-cartes/graphiques-interpretes/esperance-vie-france/

Le facteur démographique :

Considérons maintenant les circonstances de ses premiers engagements pris pour « trouver femme ».
L’hypothèse énoncée dans l’article précédent pour justifier son premier reniement, maintenant que nous savons qu’il en a fait usage une seconde fois, perd de son crédit et nous enclin à considérer une nouvelle hypothèse plus crédible.
Hasardons-nous donc à en proposer une qui le disculperait en partie de les avoir prémédités.
Souvenons-nous que les guerres napoléoniennes ont créé une hémorragie[17] terrible de main d’œuvre dans les campagnes françaises. Jean PAUZAT, trop jeune au moment de celles-ci, a pu échapper à une conscription de masse que ses aînés n’ont pu éviter. Il s’est donc retrouvé à l’âge adulte au moment où la France rurale avait énormément besoin de bras.
Le fait d’afficher une promesse de mariage aux portes des mairies avait pour objectif officiel d’en informer la population des villages voisins afin de permettre une éventuelle opposition à ce dernier qui aurait pu justifier son empêchement.
Mais pour ce qui le concerne, cette information révèle simplement qu’un homme relativement jeune et apte à travailler est disponible sur « le marché du mariage ». Cette publicité indirecte explique peut-être pourquoi les femmes en recherche désespérée d’époux tentent alors de briguer la place !
Ceci lui a-t-il donné l’opportunité d’en bénéficier, l’affichage d’une promesse de mariage n’étant devenu dans son cas qu’une sorte de mise aux enchères d’un prétendant ?

nota : si vous avez une autre hypothèse à proposer, n'hésitez pas à me la communiquer. Je serais heureux de la publier.


[1] Acte de décès de Jean PAUZAT fils : AD 87 - Ladignac - 27/07/1833 - page 92/218
[2] Acte de naissance de Laurent PAUZAT : AD 87 - Ladignac-Châlard – 08/07/1838 - page 11/159
[3] Acte de décès de Marguerite MARSAUD : AD87 - Ladignac – 15/03/1840 - page 45/219
[4] Promesse de mariage avec Anne DEGORCAS : AD 87-1842-page 211/219
[5] Acte de mariage avec Jeanne JARRIT : AD87 - Ladignac – 12/05/1842 - page 212/219
[6] Acte de décès de Jeanne JARRIT : AD 87- Ladignac – 08/01/1843 - page 62/191
[7] Acte de mariage avec Marie MAURY : AD 87- Jumilhac-le-Grand - 15/05/1846 - page 8/16
[8] Acte de naissance de Antoine PAUZAT : AD 87 - Jumilhac-le-Grand – 05/02/1847 - page 6/
[9] Acte de décès de Marie PAUZAT : AD 87- Jumilhac-le-Grand - 19/04/1854 - page 7/23
[10] Journalier : désigne un simple manœuvre, louant sa force de travail à la 
journée auprès d'un maître de domaine ou d'une exploitation plus cossue, propriétaire ou fermier.
[11] Acte de décès de Marie MAURY : AD 87- Jumilhac – 23/04/1854 - page 7/23
[12] Les publications remplacent alors les promesses de mariage.
[13] Acte de mariage de Jean PAUZAT avec Françoise BUISSON : AD 87 - St-Yrieix - 30/01/1855 - page 75/220
[14] Acte de décès de Jean PAUZAT : AD 87 - St-Yrieix – 22/11/1862 - page 190/194
[15] Ancienne commune réunie à celle de Saint-Yrieix en l’an III
[16] Au milieu du 18e siècle, la moitié des enfants mouraient avant l’âge de 10 ans et l’espérance de vie ne dépassait pas 25 ans. Elle atteint 30 ans à la fin du siècle, puis fait un bond à 37 ans en 1810 en partie grâce à la vaccination contre la variole.
[17] 
Chateaubriand a écrit à propos de Napoléon : « Il a fait périr dans les onze années de son règne plus de cinq millions de Français », mais plus raisonnablement, environ un peu moins de 1 million, ce qui est déjà considérable.

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